Les avis du Sénat sur le projet de loi de finances adopté par l’Assemblée nationale pour 2020 font part de nombreux doutes exprimés tant du côté des acteurs culturels que des élus eux-mêmes. Sylvie Robert, sénatrice d’Ille-et-Vilaine, pointe ceux concernant les programmes 131, « Création », et 224, « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».
Le premier facteur préoccupant professionnels et élus est la perspective de transformation du ministère de la Culture dans le cadre du plan « Action publique 2022 ». L’administration centrale, dont les financements sont calculés au plus juste, ne dispose plus de marge de manœuvre suffisante. Alors que l’équité territoriale apparaît nécessaire, les DRAC voient l’essentiel de leurs crédits fléchés provoquant l’atrophie de leur action d’accompagnement des collectivités territoriales et de soutien de projets innovants qui pourraient naître notamment dans les territoires ruraux et périurbains défavorisés.
Si la politique culturelle demande à être davantage construite à la fois dans et pour les territoires, il est rappelé que cette mise en place ne se résume pas à de simples transferts de compétences sans cohérence d’ensemble ni moyens appropriés. En octobre 2019 a été créé le Conseil des territoires pour la culture (CTC). Cette instance devrait être déclinée en régions pour faciliter les échanges entre le ministère de la Culture et les associations d’élus, cependant son action est retardée du fait des prochaines élections municipales. À la sollicitation croissante des collectivités par l’État pour qu’elles participent financièrement au déploiement de programmes nationaux, l’avis signale que les capacités financières de ces dernières sont contraintes, encore plus pour celles dont les contrats avec l’État prévoient désormais de limiter la progression de leurs dépenses de fonctionnement à 1,2%.
L'éducation artistique et culturelle à l'ombre des grandes priorités nationales
Les « priorités » en faveur de l’éducation artistique et culturelle sont considérées comme étant des « projets médiatiques » qui, à l’instar du Pass culture et des Micro-folies, concentrent la majorité des crédits. Pour le Pass culture, l’avis mentionne la crainte que ce dispositif soit le « seul vecteur de l’irrigation culturelle ». Il apparaît « acceptable uniquement s’il est un instrument au service de politiques publiques », et il « ne saurait être considéré, par lui-même, comme une politique publique ». Il est regretté que pour juger de la pertinence de cet outil, aucun débat public n’ait été organisé et il est également déploré le manque de données qualitatives qui permettraient d’évaluer le bien fondé de l’importance des crédits qui lui sont affectés - et pour lesquels est prévue une hausse de 35% par rapport à 2019.
Malgré la déclaration faite à la commission culture du Sénat le 31 octobre 2019 par le ministre de la Culture qui affirmait que l’émancipation par les arts et la culture constituerait la première priorité du ministère en 2020, les financements consacrés à l’EAC enregistrent une baisse par rapport à ce qui était prévu en 2019. De fait, la rapporteure demande le renforcement de la cohérence en matière d’EAC et précise les premières nécessités d’un plan d’actions à définir :
- La détermination d’indicateurs fiables pour décrire un parcours EAC engagé plus loin que la simple sortie scolaire,
- Les synergies à créer entre les partenaires très différents impliqués dans un projet EAC en renforçant les mécanismes de concertation et en réactivant ceux existant,
- L’amélioration de la formation commune des multiples acteurs intervenant dans l’EAC dont la vision et les attentes sont souvent différentes.
Le dispositif des Micro-folies est abordé par ses limites. Il est jugé trop centré sur le numérique tenant à distance les artistes qui pourraient y être invités pour présenter leur travail et davantage adapté pour les espaces périurbains excluant les communes rurales, où pourtant les besoins en démocratisation culturelle sont importants. Là encore, le rapport dénonce des crédits en augmentation alloués à un dispositif nouveau, peu évalué, alors qu’on enregistre une baisse de 5 millions d’euros des crédits destinés à corriger les déséquilibres territoriaux et sociaux dans l’accès à la culture dans le projet de loi de finances 2020 (31,34 millions d’euros, soit - 13,4%).
L’autre point sombre est que, là aussi, les collectivités vont devoir prendre à leur charge les coûts de fonctionnement de ces structures et les coûts de maintenance des équipements numériques : les communes rurales ne pourront pas endosser de telles dépenses.
La création aux financements corsetés, les craintes des artistes et des professionnels
Le projet de loi de finances 2020 est prioritairement construit dans une logique de déconcentration de la gestion des crédits culturels. Cette orientation n’a pas permis de dégager des financements suffisants pour libérer une marge de manœuvre pour la création artistique portée par les équipements culturels dont, notamment, ceux appartenant aux réseaux labellisés. Les opérateurs sont pourtant invités à participer au déploiement territorial de la culture en amenant, à budget constant, les artistes au cœur des territoires. La commission « culture » du Sénat a d'ailleurs auditionné des instances syndicales du spectacle vivant le 30 octobre 2019. Conscientes des enjeux et des attentes liés à ces transformations à venir, elles ont marqué leur souhait de participer aux réflexions engagées et rappelé aussi les nécessaires moyens à ouvrir pour servir les objectifs visés par le ministère de la Culture : « faire de la France une terre d’artistes et de créateurs ».
Dans cette optique de mise en proximité de la création artistique, le projet de loi de finances oriente les financements sur les projets des artistes avec un accent mis sur les aides directes aux équipes artistiques indépendantes dans le domaine du spectacle vivant (+ 300 000 euros) afin de « sécuriser leur parcours professionnel ». La résidence - qui a fait l’objet d’une étude du ministère de la Culture en octobre 2019 - occupe une place importante dans les dispositifs d'accompagnement et bénéficie d’un effort particulier.
Le rapport s’arrête plus longuement sur les inquiétudes nées des décisions - qu’il dénonce - concernant les règles relatives au crédit d’impôt pour le spectacle vivant (CISV), la suppression de la taxe perçue au profit de l’ASTP et sa transformation en subvention. Le projet de loi inscrivant le soutien à l’emploi culturel comme un des enjeux de ce budget, la rapporteure fait cependant part des attentes concernant le recalibrage du Fonpeps destiné aux entreprises du spectacle vivant et enregistré et aux artistes et techniciens qu’elles emploient et, du fait de la sous-exécution de ce fonds au début 2019, elle s’interroge néanmoins sur l’augmentation annoncée de la dotation.